On assiste depuis quelques temps à l’essor fulgurant de la "gamelle", de la lunchbox ou encore du "bento" en Europe et notamment en France.
Voici par exemple trois vidéos sur le sujet :
Tendance ô, 100% mag "le retour de la gamelle", 100% mag "pause déjeuner cantine vs gamelle"
Pour expliquer le phénomène, il suffit d'un constat simple : nous disposons en moyenne de 31 minutes pour déjeuner, contre 1h38 en 1975. Là, on accuse une intensification du travail, une diminution des temps de pause, et une pression toujours constante au travail.
A cela s'ajoute la crise, encore et toujours la crise, qui fait baisser le budget "déjeuner" de nombreux français.
Personnellement étant étudiante je ne constate pas ce changement en entreprise, mais il me suffit d'observer les chaises vides du self de mon lycée pour comprendre ce qu'il se passe.
Chez les salariés, faute de rentrer chez soi on a trouvé la solution : la gamelle. Ainsi 15% des actifs déclarent déjeuner régulièrement dans leur bureau et même si nous sommes encore nombreux a nous attabler pour déjeuner, c'est une habitude en mutation.
On assiste ainsi à l'émergence de nouveau marchés, au dépend des restaurants, fast-foods et autres boulangeries-sandwicheries.
Et sur internet, de nombreux blogs consacrés exclusivement aux bentos sont nés ces dernières années (pour en citer quelques uns : mademoiselle m, audrey bento, a vos baguettes, french bento, bento blog, et de l'autre côté de l'Atlantique on a aussi bentolicious, cute bento, bentozen, ...).
Avant d'entrer plus en détail dans les raisons d'un tel succès, présentons d'abords ces petites boîtes compartimentées :
Bento est un terme japonais qui désigne un repas contenu dans un coffret pris hors la maison. Et je parle bien d'un repas, car rien à voir avec notre casse-croûte sommaire occidental.
Ainsi dans un espace apparemment très petit (la taille moyenne étant de 600ml) se concentrent une foule d'ingrédients souvent associés selon une règle japonaise : la règle du 3-2-1, c'est-à-dire 3 portions de féculents, 2 portions de fruits et/ou légumes, pour 1 portions de protéines.
D'autre part, selon la culture japonaise issue du shintoïsme, le bento doit comporter un aliment qui vient de la terre (riz, viande, légume) et un aliment qui vient de la mer (poisson, algue, ...) pour respecter la nature et l'équilibre du monde (on ne favorise pas la terre ou la mer).
A partir de là, une créativité débordante s'exprime, laissant place à de véritables compositions qui ravissent les enfants lorsqu'ils découvrent le contenu de leur boîte préparée avec amour par la maman.
Loin d'être réservé aux enfants, le bento est aussi populaire chez les travailleurs (ouvriers et salariés) malgré une baisse de cette pratique (après mutiplication des fast-foods, et du travail des femmes).
Une exception cependant est celle des gares, où depuis la fin du XIXe siècle on trouve sur les quais et à bord des trains longue distance (shinkansen : TGV japonais) des ekiben (littéralement eki-uri-bento, "bento vendu en gare").
Ceux-ci reflètent la cuisine du terroir chaque ekiben étant spécifique d'une gare, préparé à base de produits régionaux de qualité, et recouvert d'un papier à motif traditionnel cerné par un ruban.
Mais l'origine bento remonte à la periode Kamakura (entre 1185 et 1333) où on conservait du riz cuit et séché dans de petits récipient, jusqu'à ce qu'il connaisse un grand essor 3 siècles plus tard durant la période Edo (1603-1867) : en ce temps, les voyageurs emportaient des onigiri (boules de riz assez compactes fourrées parfois de poisson, algue, ...) dans des boîtes en bambou.
Durant l'ère Meiji (1868-1912) marquée par la modernisation rapide du pays, les premiers ekiben apparurent dans les gares mais ne perdurèrent pas à cause des prix trop élevés des boîtes traditionnelles en bois laqué. On les consommait déjà dans les écoles (et les entreprises), mais ils étaient critiqués car ils laissaient apparaître le milieu social des enfants qui n'avaient pas tous le même choix dans leur boîtes...
On les retrouve cependant après les guerres, pendant la période de Haute Croissance japonaise dans les années 70 (ou 80 selon les sources) où le micro-onde en favorise l'usage, où l'arrivée du plastique donne de nouvelles boîtes plus accessibles et plus faciles à laver et où parallèlement les premières cantines apparaissent.
Ils s'exportent enfin à l'étranger, et on peut maintenant observer les Biandang de Taïwan, Baon des Philippines, Dosirak de Corée ou Tiffin d'Inde.
Et maintenant : les lunchbox et les gamelles d'Europe !
Scène du film Ghibli "Mon voisin Totoro" |
Alors le bento, c'est pour nous ou pas ?
Je l'avoue ouvertement, le bento je connaissais un peu avant de faire toutes ces recherches, et je n'aimais pas trop. Je trouve ça trop kitch.
C'est vrai que depuis les années 60 où les personnages d'animation ont pris de l'importance au Japon, les enfants aiment retrouver dans leur bento des personnages qu'ils apprécient, que ce soit des animaux ou des imitations très fidèles de leurs magnas préférés, on les appelle alors des Kyaraben (ou charaben, issu des mots "character" et "bento").
Alors oui, il y a forcément un phénomène de mode. Les bento sont, comme j'ai pu le lire, trendy, fashion ou tendance (au point ou certains assortissent leur bento à la couleur de leurs vêtements). Mais lorsque l'on sort de cette engouement un peu superficiel, on peut trouver énormément d'avantages à ces gamelles.
Tout d'abord : le prix.
Mettons les choses au clair tout de suite : les boîtes sont chères. Suivant les modèles, les tailles, la matières, elles vont du simple au triple, ce qui m'a un peu dépité. "Tout ça pour un tupperware nouvelle génération ?"
Mais il faut considérer cela avec un peu de recul : on amortis l'investissement très rapidement puisque le concept de la gamelle nous fait économiser sur les déjeuners achetés en ville ET sur les ingrédients utilisés puisqu'ils permettent d'utiliser les restes. (c'est mon chien qui va être content).
Alors les convertis ont pris l'habitude de se préparer une part de plus au dîner pour l'inclure dans le bento du lendemain.
Ensuite : l'équilibre et santé.
Comme on l'a vu, la composition traditionnelle des bento, à la japonaise, est très équilibrée avec des portions de chaque catégories (vous vous souvenez de la pyramide des aliments que l'on affichait sur les murs de la cantine ?).
Le bento est d'ailleurs compartimenté, chaque case a son aliment. Ca peut sembler très strict et académique comme façon de faire, d'autres trouvent ça au contraire très ludique, en tout cas c'est un bon moyen de contrôler son alimentation.
Plus que ça, les personnes ayant des maladies ou allergies, suivant un régime précis, mettent ce qu'elles veulent dans leur gamelle, et n'ont plus à se soucier d'un quelconque menu fait pour contenter une majorité approximative. "Je mange ce que je veux, et je sais d'où ça vient" pourrait être un slogan.
Et même si je n'aime pas le look très kitch de la nourriture associée aux bentos, cela reste un super moyen de faire manger poisson, légumes et riz aux enfants, donc de leur apporter une alimentation plus saine que les bâtons croustibat' et là, je vote pour.
Boîte "bento box" de Black + blum |
Et puis : le format.
Le gain de place avec les gamelles, par rapport aux boîtes à pic-nique traditionnelles et sans équivoque, alors mois qui trimbalait un mini-sac isotherme (en plus du sac de cours) à chaque sortie de classe (même au lycée), je peux vous dire que cet argument pèse dans la balance.
Et cela n'est pas vraiment surprenant : le Japon et un des pays les plus densément peuplé au monde avec plus 1500 habitants au km² (en France, c'est 108 - à titre de comparaison) mais ce n'est rien.
L'aire urbaine de Tokyo (ville la plus densément peuplée de la planète) affiche 11 000 habitants par km² !
(ne me regardez pas comme ça, ces chiffres sont ceux que j'ai appris il y a pas une semaine en cours de géographie).
Vous comprenez alors que le gain de place la-bas est un art, les maisons sont construites en hauteur, tout comme les bento sont optimisés pour que l'on puisse y ranger le plus que l'on peut dans un minimum d'espace.
Ils se révèlent donc très pratiques, dans les déplacements, les randonnées, les pic-niques à la plage, les trajets en train...
Vidéo de présentation de la bento monbento.com
Et enfin : l'esthétique, le côté ludique.
Sur ce point je me suis prononcé de façon tranchée : j'ai horreur des trucs kitch, Hello Kitty et compagnie c'était bien mais c'est une autre époque, j'ai grandi.Cependant, mon reproche va plus au contenu qu'au contenant. Les boîtes en elles-mêmes sont très belles, classes, épurées.
Je suis tombée sur le site de vente en ligne monbento.com dont j'ai feuilleté le catalogue, et je suis vraiment tentée d'investir dans une de leurs boîtes.
A 28 euros, elles n'ont rien de surfait, elles sont plutôt design et fonctionnelles, avec plusieurs coloris, elles passent en machine, au micro-onde, et sont sans BPA (Bisphénol A).
J'adore celle-ci, que l'on peut compléter avec des petits pots pour sauce, ou des séparateurs supplémentaires (pour compartimenter d'avantage).
J'ai lu en plus qu' "un système les rendant isotherme est en cours de développement par [les] designer et ingénieurs." J'attendrai peut-être la nouvelle génération pour investir, comme font les connaisseurs pour les iphones.
Bento color |
Box appétit de Black + blum |
Enfin, il y a la bento box de Black + blum à 17, 95 € de 500ml, avec sa grande soeur la box appétit à 19.95 € qui a les mêmes qualités que celles de monbento.com, les couverts en plus mais moins passe-partout.
Vidéo de présentation de la bento Black + blum
Je passe donc sur les accessoires, qui personnellement ne m'intéressent pas. Je vous cite simplement les piques, les perforeuses, les emporte pièces, les tailles-crayons carotte et cercles à oeufs qui servent tous à créer des personnages, des animaux, des formes rigolotes et ludiques à manger. Si cela vous intéresse, je vous conseille l'article très détaillé et franchement bien fait du blog "les bentos de julie", ici.
J'admet que ces boîtes ont tout de même un petit côté nostalgique, et je crois que c'est une clé du succès aussi vu le nombre d'objets rétro et vintage que l'on retrouve aujourd'hui sur le marché : comme le disait justement la blogueuse Sonia Ezgulian, le concept nous rappelle énormément les petits boîtes du goûter compartimentées de quand on était petits, avec un sandwhich, une pomme et une brique de jus.
(je ne suis pas de cette époque, mais ça me rappelle ce que je voyais souvent à la télé dans les séries américaines du type "7 à la maison")Planches du mange "Ekiben Hitoritabi", vendu en version anglaise ici |
Pour finir en beauté, quelques recettes :
- sur Elle à Table : les recettes de Cococook ("comme un rouleau de printemps", "milanaise aux petits légumes", et "dessert banane-caroube") et les recettes de nanashi ("bento de lieu noir à la pistache et couscous", "salade de concombre, navet violet et wakame", "broccoli à la crème de tofu", "pizza briochée" et "cake chocolat-yuzu")
- un dossier Cuisine Az "manger au bureau" : ici (dont les recettes du blog de Châtaigne : bento de crudité et Oyakodon au porc, et bento de crudités, yakitoris, et riz basmati, fruis frais)
- enfin pour les anglophones uniquement, les recettes du blog bentozen : feuilles de chou farcie d'un mélange de courgette et aubergine cuisiné avec du riz complet, et croquettes de lentilles-cacahuètes.
- et puis aussi quelques recettes d'ici pouvant se retrouver dans un bento (à réchauffer au micro-onde) :
côté salé : boulettes de thon / carottes au cumin / cocos de Paimpol aux légumes / couscous tomate crevette / crêpes de sarrasin au saumon fumé, brousse, courgette et roquette / gyozas / jambalaya / purée de topinambours / salade d'endives aux noix / steak de thon au sésame / haché de boeuf à l'orientale / boeuf aux champignons noirs et pousses de bambou
côté sucré : le plus souvent des fruits frais, des fruits secs, voir des petits gâteaux : boules coco chocolat / carrot cake / cornbread / financier chocolat / madeleine au miel / petit gâteau chocolat, noix/noisette
Sinon, tapez "recette bento" dans google et parcourez la toile, vous allez trouvez plein plein plein d'exemples de bento tous plus colorés les uns que les autres...
Et n'oubliez pas les vidéos citées en début d'articles, elles sont top.
Voilà, je crois que tout est dans la boîte !
(désolé, il fallait vraiment que je la fasse).
Note : je dédie cet article à mon père, qui n'a plus sa kitchenette au travail et désespère de n'avoir plus que des plats préparés à se mettre sous la dent.
Sources :
- article Le bento c'est quoi ? sur le blog "le bento est dans le pré"
- article Bento Mania, sur mitakani.com
- article L'ekiben, l'art du bento sur Vivre le Japon.com
- article Le Parisien le retour de la gamelle ou le renouveau du déjeuner "maison" au bureau
- article Libération "le retour de la gamelle"
- article Madame le Figaro "la gamelle s'embourgeoise"
- article Challenge "la pause déjeuner mérite de s'y attarder"
- article L'hebdo "quand le Bento fait boom"
- article Le Post "la pause déjeuner des salariés français de plus en plus courte"
5 commentaires:
Ton article est super intéressant!
Notamment la partie sur l'équilibre de la nature du monde qui se joue dans cette petite boîte pour les japonais entre la terre et la mer.
Ils ont une philosophie de vie incroyable de richesse.
Personnellement, je ne suis pas vraiment pour le concept de bento. Je trouve cela très important de pouvoir sortir du bureau/cours pour s'octroyer une vraie pause déjeuner et couper de l'ambiance professionnelle/studieuse. Attention, je trouve que c'est très pratique et que ça incite les gens à se préparer eux-mêmes de bons petits plats, mais c'est vraiment l'aspect de la pause déjeuner au bureau devant ses dossiers qui me rebute.
oui je comprends cet avis, je pense que c'est génial quand on manque de temps justement, mais même sans ça, ça ne me déplairait pas - peut-être pas tous les jours non plus
C'est vrai qu'il y a des boîtes à bento très astucieuses ... et cet art de bien découper, bien présenter les aliments me fascine ... c'est vraiment délicat et très esthétique. Je ne pratique pas le bento car j'ai un restaurant d'entreprise sur mon lieu de travail, et je ne sais pas si je passerais autant de temps à préparer mon casse-croûte !
Wow merci pour ton article très detaillée ! À NYC, en général, les gens mangent vite au bureau, devant l’ordi, et dans ce cas le bento est très utile pour manger un repas équilibré. Mais moi je préfère prendre une pause dans un resto pour me reposer et profiter ;)
J'adore la Bento Color !! Elle est trop mignonne
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