Cela fait déjà quelques temps que j'ai tourné la dernière page de cette oeuvre de Steinbeck. Je le connaissais déjà en ayant lu "Des souris et des hommes", étudié en cours d'anglais. Mais "Les Raisins de la colère" m'ont fait redécouvrir cet auteur, est vraiment je suis encore bouleversée par la beauté de ses écrits.
Il est vrai que j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire, au début je ne pensais pas pouvoir le finir, puis au fur et à mesure je me suis pris de sympathie pour les personnages, j'ai eu envie de savoir ce qu'il allait leur arriver, et surtout je voulais découvrir par quelles tournures et par quelles mots je pourrai découvrir l'Amérique des années 1929-1930, époque de La Grande Dépression.
Je ne vous ferai pas ici le résumé de l'oeuvre, puisque vous pouvez le trouver partout sur internet, et je ne vous parlerai pas des personnages et de leurs aventures, parce que je crois qu'il faut lire le livre, un point c'est tout.
Mais pour vous donner un aperçu du style, de l'univers du bouquin, de la façon si simple et si criante de vérité que Steinbeck avait de raconté l'aventure de ses personnages tout en insérant des analyses de la société j'ai retapé ci-dessous quelques uns de mes passages préférés, qu'il me plait de relire de temps en temps.
Note : j'ai été surprise de constater que ce livre est en plus au programme national de français-philosophie des classes préparatoires scientifiques de l'année 2011/2012, classe que je vais normalement intégrer l'année prochaine. Mais je ne sais pas s'il sera encore au programme....
Chapitre XVIII, p289
- vous dites qu’il a peur de mourir ? demanda Casy.
- C’est ce qu’on m’a raconté.
- L’a peur que Dieu vienne le prendre ?
- J’sais pas. L’a peur, tout simplement.
- Qu’est-ce qu’il a besoin de s’en faire ? dit Pa. M’a pas l’air de rigoler beaucoup.
- Grand-père n’avait pas peur, intervint Tom. C’est quand il était le plus près d’y passer qu’il rigolait le plus. Comme la fois qu’il était avec un autre type et qu’ils sont tombés en pleine nuit sur une bande d’Indiens Navajos. Qu’est-ce qu’ils se sont payé comme bon temps, ce soir-là, et pourtant vous n’auriez pas donné deux liards de leur peau.
- Eh oui, c’est comme ça, fit Casy. Prenez un gars qui rigole, eh bien il s’en fout, et à côté de ça un type qu’est méchant, solitaire, vieux et déçu… il a peur de mourir.
Pa demanda :
- Pourquoi qu’il serait déçu, avec un million d’arpents ?
Le pasteur sourit, l’air songeur. D’une claque il éclaboussa au loin une mouche d’eau :
- S’il a besoin d’un million d’arpents pour se sentir riche, à mon idée, c’est qu’il doit se sentir bougrement pauvre en dedans de lui, et s’il est si pauvre en dedans, c’est pas avec un million d’arpents qu’il se sentira plus riche, et c’est p’têt’ pour ça qu’il est déçu, c’est parce qu’il a beau faire, il n’arrive pas à se sentir plus riche… j’entends riche comme Mme Wilson, quand elle a donné sa tente pour Grand-père qu’était entrain de mourir. C’est pas que je veux faire un prêche, mais j’ai encore jamais vu de type qu’ait passé son temps à ramasser et à entasser, et qu’ait pas été déçu au bout du compte. (Il sourit :) C’est vrai que ça ressemble un peu à un prêche, hein ?
Chapitre XVIII - p322
Ils dévalèrent la montagne, avec des huit et des virages à n’en plus finir. Parfois la vallée se dérobait à leurs yeux, puis ils la retrouvaient.
Et la chaude haleine de la vallée monta jusqu’à eux, pleine d’odeurs fortes et vertes, de sauge, de résine et de thym. Le long de la route les grillons chantaient.
Chapitre XIX - p327
Des charretées, des caravanes de sans-logis affamés ; vingt mille, cinquante mille, cent mille, deux cent mille. Ils déferlaient par-dessus les montagnes, ventre creux, toujours en mouvement – pareils à des fourmis perpétuellement affairées, en quête de travail – de quelque chose à faire – de quelque chose à soulever, à pousser, à hisser, à traîner, à piocher, à couper – n’importe quoi, n’importe quel fardeau à porter en échange d’un peu de nourriture. Les gosses ont faim. Nous n’avons pas de toit. Pareils à des fourmis perpétuellement affairées, en quête de travail, de nourriture et surtout de terre.
On n’est pas des étrangers. Américains depuis sept générations, descendants Irlandais, d’Ecossais, d’Anglais, d’Allemands. Un de nos aïeux s’est battu pendant la Révolution – et une quantité des nôtres a fait la Guerre de Sécession – des deux côtés. Des Américains.
Ils avaient faim et ils devenaient enragés. Là où ils avaient espéré trouver un foyer, ils ne trouvaient que de la haine. Des Okies. Les propriétaires les détestaient parce qu’ils se savaient amollis par trop de bien-être, tandis que les Okies étaient forts, parce qu’ils étaient eux-mêmes gras et bien nourris, tandis que les Okies étaient affamés ; et peut-être leurs grands-pères leur avaient-ils raconté comme il est aisé de s’emparer de la terre d’un homme indolent quand on est soi-même affamé, décidé à tout et armé. Les propriétaires les détestaient. Et dans les villes et les villages, les commerçants les détestaient parce qu’ils n’avaient pas d’argent à dépenser.
Chapitre XX - p355
Man s’agenouilla près du feu d’herbes sèches, cassant de petites brindilles pour nourrir la flamme sous la marmite. Le feu s’avivait, retombait, s’avivait et retombait. Les enfants – ils étaient quinze – l’observaient en silence. Et quand l’odeur de fricassée leur passait sous le nez, ils plissaient légèrement les narines.
Leurs cheveux roussis par la poussière luisaient au soleil. Ils se sentaient confus de se trouver là, mais ne faisaient pas mine de s’en aller. Man parlait à voix basse à une petite fille, qui se retenait au milieu du cercle avide.
Elle était plus âgée que les autres. Elle se tenait sur une jambe et de son pied nu se caressait le mollet. Les
bras noués derrière le dos, elle regardait Man de ses petits yeux gris et réfléchis.
- J’peux vous casser un peu de bois, si vous voulez, M’dame, proposa-t-elle.
Man leva les yeux de son travail.
- T’as envie de te faire inviter à manger, hein ?
- Oui, m’dame, répondit-elle sans se démonter.
Chapitre XX - p 361
Man dit d’un ton découragé :
- Je ne sais pas quoi faire. J’ai la famille à nourrir. Qu’est-ce que je m’en vais faire de tous ces gosses !
Les enfants restaient figés devant elle et la regardaient. Leurs visages étaient fermés, rigides, et leurs yeux allaient automatiquement de la marmite à l’assiette de fer-blanc que Man tenait à la main. Leurs yeux suivaient la cuiller de la marmite à l’assiette et quand elle passa l’assiette fumant à l’oncle John, tous les regards montèrent à sa suite. L’oncle John planta sa cuiller dans la fricassée, et le barrage d’yeux monta avec la cuiller. Un morceau de pomme de terre pénétra dans la bouche de l’oncle John et le barrage d’yeux se fixa sur son visage, pour voir comment il réagirait. Est-ce que ce serait bon ? Est-ce que ça lui plairait ?
Alors, l’oncle John parut les remarquer pour la première fois. Il mâchait avec lenteur.
- Tiens, prends ça, dit-il à Tom. Je n’ai pas faim.
Chapitre XXIV p466
Le samedi matin, il y avait grande presse aux lavoirs. Les femmes lavaient les robes – calicot rose ou cotonnade à fleurs – puis elles les pendaient au soleil, étirant le tissu pour l’assouplir. Dès le début de l’après-midi, une animation inaccoutumée se manifesta dans tout le camp ; les gens s’agitaient fiévreusement. Gagnés par la contagion, les enfants se montraient plus turbulents qu’à l’ordinaire. Vers le milieu de l’après-midi on procéda au bain collectif des gosses. A mesure que chaque enfant était attrapé, dompté et lavé, le vacarme peu à peu s’apaisait sur le terrain de jeux. Avant cinq heures, tous avaient été astiqués et brossés et s’étaient entendu menacer des pires châtiments s’ils se salissaient de nouveau, si bien qu’ils erraient lamentablement, guindés dans leurs vêtements propres, mal à l’aise d’avoir à faire attention.
Chapitre XXV p488
Le printemps est merveilleux en Californie. Les vallées sont des mers odorantes d’arbres en fleurs, aux eaux blanches et roses. Et bientôt les premières vrilles font leur apparition sur les vignes et déferlent en cascades sur les vieux ceps tordus. Les riches collines verdoient, rondes et veloutées comme des seins, et sur les terrains plats réservés aux cultures potagères, s’alignent à l’infini les pâles laitues, les minuscules choux-fleurs et les plants d’artichauts d’un gris vert irréel.
Et subitement les feuilles se montrent sur les branches ; les pétales tombent des arbres et couvrent la terre d’un tapis rose et blanc. Le cœur du bourgeon enfle, prend forme et couleur : cerises, pommes, pêches, poires et figues dont la fleur s’enferme dans la gousse du fruit. Toute la Californie éclate d’une splendeur prolifique ; les fruits s’alourdissent, les branches ploient peu à peu sous la charge et doivent être soutenues par des béquilles.
[…]
Tout le long des rangées d’arbres, extirpateurs et herses arrachent les pousses d’herbe, retournent la terre pour la rendre plus fertile et retenir l’eau de pluie près de la surface, creusent des petits sillons pour l’irrigation et détruisent les racines des mauvaises herbes qui boivent l’eau destinée aux arbres.
Entre-temps, les fruits grossissent et les fleurs s’épanouissent en longues grappes sur les ceps. Et sous l’effet de la chaleur grandissante, les feuilles tournent au vert foncé. Les prunes s’allongent, semblables à de petits œufs de grive, et les branches alourdies s’affaissent sur leurs supports. Les petites poires dures prennent forme et les pêches commencent à se velouter. Les fleurs de la vigne perdent leurs pétales et les petites perles dures deviennent des billes vertes, et les billes s’alourdissent. Les travailleurs des champs, les propriétaires des petits vergers surveillent et calculent. L’année sera bonne. Et les hommes sont fiers, car si la récolte est abondante, c’est grâce à leur savoir…
Chapitre XXVII p598
Dans l’obscurité du wagon, Man remua légèrement, puis elle repoussa la couverture et se leva. La clarté grisâtre des étoiles s’insinuait par la porte ouverte. Man alla regarder au-dehors. Les étoiles pâlissaient à l’est. Le vent caressait la cime des saules et l’eau chuchotait doucement, plus bas dans le ruisseau. La plupart des familles dormaient encore, mais un petit feu était allumé devant une des tentes, et des gens se chauffaient autour. Ils tendaient leur mains au feu et les frottaient l’une contre l’autre ; ensuite ils se retournaient, les mains derrière le dos. Man les regarda un moment, ses doigts croisés sur son ventre. Le vent capricieux passa en rafale et l’air fraîchit encore.
Man frissonna et se frotta les mains. Elle rentra et chercha son chemin à l’aveuglette, tâtonnant autour de la lanterne à la recherche des allumettes. Le verre grinça. Elle alluma la mèche, regarda un moment la petite flamme bleue vêtir son manteau de lumière jaune, aux lignes finement incurvées. Elle prit la lanterne, la posa devant le poêle et se mit à casser des branches sèches qu’elle introduisit dans le foyer. Le feu ne tarda pas à ronfler dans la cheminée.
12 commentaires:
Oh mais c'est pas possible ! Encore un point commun ; devine ce que je fais l'année prochaine... ;)
Tu vas dans quelle section ? :)
sûrement PCSI et toi ?? tu veux faire école d'ingénieur ?
Moi sûrement BCPST (celle de l'île), mais j'ai aussi hésité à faire PCSI ;)
Après je sais pas vraiment ce que je veux faire... On verra bien !
Je sens que ça va être dur de poursuivre nos blogs les deux prochaines années tu ne crois pas ? ^^'
c'est exactement ce que je me disais... on vera bien pour l'instant profitons!
AH ça oui, j'en ai profité un max pendant ces vacances ! :P
Tu vas aller dans quel lycée (si c'est pas indiscret) ? :)
je me suis inscrite à Montaigne en premier choix (bordeaux), et toi ?
Moi je reste sur mon île, bien au chaud ! ;P
J'ai choisi la BCPST du Tampon (lycée roland garros). Pas très connu ^^', mais ils ont déjà mis plusieurs élèves à l'ENS, donc j'y vais les yeux fermés ! ;)
Oui j'imagine... C'est super comme ça tu peux rester près de chez toi!
Ton article est intéressant!
Il m'a dautant plus plu qu'il m'a ramenée fort longtemps en arrière.... à l'époque où j'étais au lycée et où je découvrai comme toi cet auteur et la dimension politique du monde.
Merci à toi de faire de ton blog un vrai espace culturel!
Bises
Chaque année le thème et les livres changent pour le programme des classes préparatoires. Par contre c'est les mêmes livres chaque année pour les élèves de première et de seconde année.
Il y a eu le thème de l'argent par exemple.Mon fils a fait les classes préparatoires de Nantes et il est élève à l'ENS cette année.
Ok ! Bon alors je verrai bien quel sera le thème l'année prochaine, merci pour l'info =)
@ mathilde : derien ca me fait plaisir d'entendre ça =)
Je viens de le finir. Je ne pensais pas que Steinbeck pouvait faire mieux qu'A L'Est d'Eden ou Des Souris et des Hommes (ou que ses autres nouvelles ou romans plus courts du même niveau). Mais si. Ce roman est un chef d'oeuvre hallucinant. Je n'ai jamais lu de plus beaux romans.
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